Mort, ai-je dit, il n’y a pas de mort, seulement

un changement de monde.

Seattle

1881 / 1999

En 1854, en réponse à l’offre du président des États-Unis qui proposait aux Indiens d’acheter leur terre, le chef Seattle prononce un discours devant le gouverneur de l’état de Washington. Il se situe à la fin de la longue histoire de la colonisation qui débute en 1492 avec l’arrivée des premiers navigateurs européens et se termine quatre siècles plus tard en décembre 1890 par le massacre de Wounded knee. Pour l’immense civilisation indienne, c’est la fin de la vie et le début de la survivance.

Que reste-t-il de cette histoire ? du folklore, des westerns, des coiffes de plumes dans les Musées, des fumeurs de calumet, des Jeeps Cherokee, des tracteurs Manitou, des missiles Tomahawk, des noms de villes, pour ainsi dire rien, si ce n’est une amnésie entachée de romantisme un peu cruel. La mémoire fait défaut. Qu’est ce que le vieux continent est allé fouiller là bas, quel est ce rêve qui a présidé à cet élan. Le rêve de la terre vierge de l’autre côté des mers, un nouvel Eden, l’el Dorado, ou simplement la présomption toute animale de l’homme à étendre son territoire, son territoire géographique et son territoire du profit.

Le discours de Seattle est d’une extraordinaire lucidité sur les siècles qui lui succèdent, il ose être impartial, il ose la violence pour affirmer la pérennité de toute vie, il ose dire une ville portera mon nom et nous y rejouerons votre histoire. Il ose la mémoire.

Cette installation pose la question de la mémoire, non pas comme moyen de conservation mémoriel ou muséal d’une culture aujourd’hui disparue – la question indienne n’étant pas réglée et restant toujours d’actualité aux États-Unis – mais comme principe de re-connaissance de nos fondements culturels, religieux et politiques. Nous, la vieille Europe, qui avons fondé les États-Unis, à l’heure où nous sommes devenus les provinciaux des USA, comment au vu des événements qui se répètent sur d’autres territoires, à quelques siècles de distance, avec une étonnante ressemblance, pouvons nous chacun, nous reposer les questions de la conquête, du rapport à la terre et du rapport au vivant.

Comment les vieux fantômes que nous gardons au dessus de nos têtes peuvent nous guider dans l’écriture de l’histoire contemporaine.

Dispositif

Cette installation est basée sur l’écoute de ce discours face à une scénographie inhabitée composée de 30 à 40 plaques de verre translucide de largeur identique plantées dans la terre, à des hauteurs différentes, devant une estrade de bois entourée de velours rouge au dessus de laquelle flotte une chemise en cire, sorte d’enveloppe vide ayant conservé l’empreinte d’un corps.

Extraits du discours de Seattle

Le jour et la nuit ne peuvent demeurer ensemble. L’Homme Rouge a toujours fui l’arrivée de l’Homme Blanc, comme la brume du matin fuit devant le soleil levant. Pourtant, votre offre semble juste et je pense que mon peuple l’acceptera et se retirera dans la réserve que vous lui proposez. Alors nous demeurerons à l’écart et en paix(…)

Quelques lunes de plus, quelques hivers de plus, et pas un seul parmi les descendants de ces puissantes tribus qui autrefois se déplaçaient sur cette terre sans confins ou qui vivaient dans des maisons heureuses protégées par le Grand Esprit, ne restera pour pleurer sur les tombes d’un peuple autrefois plus puissant et plein d’espoir que le votre. Mais pourquoi devrai-je pleurer sur la destinée de mon peuple, à tribu succède tribu et à nation succède nation, comme les vagues de la mer. C’est l’ordre de la nature et le regret est inutile, le temps de votre déclin est peut-être lointain, mais sûrement il viendra, car même l’Homme Blanc dont le Dieu marche et parle avec lui comme un ami à un ami ne peut être exempt de la destinée commune. Peut-être sommes nous frères après tout, nous verrons(…)

Et quand le dernier Homme Rouge aura péri, et que le souvenir de mon peuple sera devenu un mythe chez l’Homme Blanc, ces rivages grouilleront des morts invisibles de ma tribu, et quand les enfants de vos enfants s’imagineront seuls dans les champs, sur la grande route, ou dans le silence des forêts sauvages, ils ne seront pas seuls. Sur la terre il n’y a pas un seul endroit dédié à la solitude. La nuit quand les rues de vos villes et de vos villages sont silencieuses et vous les croyez désertes, elles seront envahies par des armées revenantes qui l’habitaient autrefois et qui encore aiment cette terre magnifique. L’Homme Blanc ne sera jamais seul.

Qu’il soit juste et agisse avec bienveillance à l’égard de mon peuple, car les morts ne sont pas sans pouvoir.

Mort, ai-je dit ? Il n’y a pas de mort, seulement un changement de monde.