Une fiction d’anticipation sur l’Europe du XXIème siècle.

Au cours de la décennie 2030, à la suite du Royaume-Uni, un grand nombre d’États européens quitte progressivement l’Europe : la Pologne, la Grèce, l’Autriche, les Pays-Bas sont les premiers, très vite rejoints par l’ensemble des pays d’Europe de l’Est. Sous l’impulsion des votes nationaux et la montée progressive des partis anti-européens, la débâcle s’amplifie. Les scandales financiers, les affaires sexuelles et la corruption se multiplient, alimentant un mouvement populaire de contestations qui va grandissant. Finalement, des mois de combats, de manifestations, de luttes et d’émeutes ont conduit à la destitution des vieux pouvoirs de l’Union Européenne. La Grande Histoire a balayé le vieux monde, ses institutions ont été laissées à l’abandon.

 

Dans un parlement désert, deux figures emblématiques du fonctionnement des institutions européennes, se retrouvent à rendre et régler leurs comptes. Un fonctionnaire européen, Jose-Luis Savale et un lobbyiste américain, Edouard Bannon. Ils se connaissent de longue date, pour avoir contribué, d’année en année, à forger la législation communautaire. Eddie en tant que lobbyiste travaillant à « America First » et aux intérêts de l’industrie et José-Luis en tant qu’employé de la Commission, « petit Eichmann » à Bruxelles, en laissant passer des dossiers favorables aux industriels.
Dans ce chaos à la fois intime et historique, les personnages se défont de leurs costumes officiels et s’autorisent un lâcher-prise truculent, retraçant avec une étrange gaieté mêlée de honte, d’incompréhension et de colère leurs parcours personnels et professionnels.

 

Dans un va-et-vient entre l’euphorie délirante et la détresse de ceux qui ont perdu « leur monde », se dessinent, non sans humour, les contours d’une partie puissante de l’humanité qui a longtemps pris ses folies pour des actes de raison. L’ordre est renversé, la suprématie de l’homme blanc européen, les avantages post-coloniaux, les dîners d’affaire et les trafics d’influence détrônés, et Bannon et Savale plantés là, face à leurs responsabilités pendant que s’esquissent en toile de fond les fondements d’un monde nouveau.

 

Une fable politique

 

PRLMNT est un titre en forme d’énigme, la réduction du mot « parlement », un parlement sans voyelle, un acronyme à inventer. Dans la tradition des alphabets consonantiques, principalement hébreu et arabe ancien, la privation de la voyelle dans le texte écrit donnait au lecteur la responsabilité du sens par l’ajout de la voyelle. Les voyelles manquantes donnent à imaginer d’autres sens au mot parlement, PRLMNT est dans sa structure graphique un parlement potentiel.

Ainsi commence la fable de la chute des institutions européennes, par une énigme, comme dans les rêves.

 

Christophe Bergon, mars 2018

Lettre d’un Européen depuis Berlin

Chers…

Je suis, comme vous ne savez peut-être pas, un fervent défenseur de l’idée européenne. Je l’ai été et je le reste, de cœur et d’engagement, comme Stefan Zweig l’était en son temps.

À cette idée, j’ai dédié un essai, Le Hêtre et le Bouleau, essai sur la tristesse européenne et deux romans, dont Oublier, trahir puis disparaître. Dans ces différents livres, ce fut surtout la « vie mémorielle », cette hantise propre à l’Europe, qui m’ont occupé.

Je dois ajouter à cet « autoportrait en européen » que, portant intimement la tragédie de l’histoire juive, et étant marié à une femme qui vient du monde arabe – spécialiste des intellectuels arabes et musulmans – j’ai été amené, très tôt, à juger les « fondements criminels de l’Europe ». De Toledo, qui est le nom de ma grand-mère, est un nom qui porte
à lui seul cette histoire des Juifs expulsés d’Espagne pendant la Reconquête chrétienne. Pour dire les choses simplement, je ne peux être naïvement pour l’Europe. J’ai cette vigilance qui me vient de l’histoire comme la voulait Braudel, « longue ».

L’Europe : une manière de gouverner le monde et de hiérarchiser entre les humains.

Du XVIe siècle à 1950 – autant dire, hier – l’Europe a été cette machine à classer le vivant, à coloniser et à exploiter les hommes et la nature. Elle n’est pas seulement cette merveilleuse civilisation renaissante, puis des Lumières.

J’ai dû accueillir ce double visage, l’un clair et l’autre obscur.

De cette Europe de l’oppression, les « études postcoloniales » ont fait la critique. Elles ont dit que cette histoire longue mérite d’être racontée. On ne peut pas être pro-européen juste parce qu’il y a eu soixante ans d’une tentative, depuis le Traité de Rome, de créer un espace de paix. Ce que nous dit une histoire vécue du point de vue des minorités culturelles, religieuses, linguistiques, nous renseigne sur les logiques profondes de disqualification des « autres », des « différents ».

L’Europe comme espoir donc, mais aussi comme machine à tuer…

À cette critique-là s’ajoute celle liée au temps des événements, celui que nos personnages auront à connaître. Et là, deux choses me frappent depuis les années 1990 et la Chute du mur de Berlin :

1. le retour des nationalismes, qui marque la n ou du moins un très fort revers de l’espoir post-national.
Et 2. l’affirmation d’un certain modèle de gouvernement qui privilégie une Europe des affaires sur une Europe des droits. C’est bien sûr ce que nous voyons entre, d’une part une affirmation des principes du droit à la concurrence et d’autre part une régression des droits humains, notamment dans le cadre de Schengen et du programme Frontex aux frontières. Il faudrait ajouter, car cette histoire est très présente dans PRLMNT, la montée en puissance d’un certain cynisme à Bruxelles qui signe un tournant par rapport à l’esprit européen tel qu’il était jusqu’à la n du siècle.

L’ensemble pourrait se rassembler sous le terme de « crise de con ance ». Une crise où les plus grands défenseurs de l’Europe perdent leur foi, où les plus cyniques l’utilisent pour défendre les intérêts industriels, où les plus nationalistes comprennent comment s’en servir pour leurs égoïsmes identitaires… Cette « crise », c’est bien celle qui sera le cœur des discussions lors des élections au Parlement européen en 2019. On se demandera alors : y croit-on encore en cette Europe ?

Voilà ce qui est là, comme toile de fond de ce premier épisode de PRLMNT.

Et si l’on me demande ce que je pense, je serais bien embarrassé de le résumer. Mais je tenterais pour vous en disant : les Pères fondateurs de l’Europe n’ont pas été assez ambitieux. Ils ont fauté par une modestie technicienne : commençons par l’économie et le reste suivra ont-ils pensé. Mais le reste ne suit pas. Le reste se dresse contre cette réduction du politique au marché. Et ce qu’il manque, pour l’avenir, c’est justement un horizon d’avenir.

Camille de Toledo, 22 février 2018